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Source : www.gov.uk

Rosa Curling est avocate dans le cabinet Leigh Day, spécialisée dans la défense des droits de l’homme. Elle défend Mohammad Rafi Hottak et deux autres interprètes afghans devant la Haute Cour de justice de Londres. 


Comment s’est organisé la bataille juridique des interprètes afghans ?


Nous avons été approchés par des interprètes qui sont venus nous voir parce qu'ils étaient menacés par les taliban en Afghanistan, parce qu'ils ont travaillé avec les forces britanniques [...] Le gouvernement britannique a reconnu le travail des interprètes en Irak, ils ont appliqué un programme de réinstallation pour l’ensemble de ces interprètes et leurs familles [...] Cette reconnaissance a été appliquée car ces interprètes ont été incroyablement courageux et parce qu’ils ont travaillé en première ligne avec l’armée britannique [...] Le gouvernement a reconnu qu’il avait un devoir envers ces interprètes irakiens. Nous avançons simplement que le gouvernement doit appliquer la même politique à l’égard des interprètes afghans. Il s'agit d'une politique discriminatoire envers les Afghans. C’est illégal.  


Quelles sont les prochaines échéances ?


La procédure est devant la Haute Cour de justice de Londres. Nous avons avancé nos arguments devant la justice, c’est maintenant au tour du gouvernement de répondre. Le juge devra ensuite prendre une décision. J’espère que tout sera terminé d’ici six à huit mois (entre août et octobre 2014).

Les séquelles subies par Mohammad près de sept ans après l’explosion de la bombe artisanale

La pétition lancée par Avaz

Le 14 novembre 2007, Mohammad est en patrouille avec huit officiers britanniques et 20 soldats de l’armée afghane. Depuis trois ans, le jeune homme est interprète de l’armée anglaise. Il travaille sur les zones de combat, dans une des régions les plus dangereuses du sud de l’Afghanistan, l’Helmand. De retour de patrouille, les blindés anglais s’approchent de la base quand un IED, une bombe artisanale, explose. Un officier britannique est tué, Mohammad est gravement blessé.


Depuis plusieurs années, Mohammad reçoit des menaces : des coups de téléphone anonymes, des lettres reçues la nuit, des inscriptions sur la porte de chez lui... Quand ces menaces deviennent quotidiennes, Mohammad décide de laisser sa femme et ses trois enfants pour rejoindre l’Angleterre. Avec 15 000 dollars en poche, il traverse l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Un mois plus tard, Mohammad arrive à Londres.


L'ancien interprète se rend dans un poste de police pour raconter son histoire. Il est placé dans un centre de rétention. Trois semaines plus tard, l’ancien interprète est installé dans une petite chambre. Il vit avec une cinquantaine d’euros par semaine. Pendant près d’un an et demi, Mohammad attend une réponse des services de l’immigration jusqu’au jour où il apprend que sa demande d’asile est refusée.


Des journalistes s’emparent de l’affaire. Très vite, des députés et une avocate, spécialisée dans la défense des droits de l’homme demandent au gouvernement britannique d’accueillir l’ensemble des interprètes afghans. L’association Avaaz lance une pétition de soutien aux interprètes. Après avoir été signée par 82 000 personnes, elle est solennellement déposée en août 2013 devant le bureau du premier ministre David Cameron par d’anciens militaires.


Mohammad Rafi Hottak devient le visage des interprètes abandonnés en Afghanistan. Aujourd’hui, ce père de trois enfants vit à Birmingham. Il conteste le dispositif du gouvernement devant la Haute cour de justice britannique et attend sa famille restée à Kaboul sous la menace des taliban.  

Patrick Hennessey s’est engagé cinq ans dans l’armée britannique. Après avoir servi en Irlande du Nord et en Bosnie, cet avocat d’une trentaine d’années a combattu dans la province d’Helmand, une des régions les plus dangereuses du sud de l’Afghanistan.


Pourquoi avez-vous signé la pétition qui soutient l’accueil de tous les interprètes afghans qui ont servi la couronne britannique ?


C’est juste inconcevable que ces hommes, qui ne sont pas nombreux, qui ont risqué leur vie et qui ont travaillé très dur pour l’armée britannique ne soient pas autorisés à venir s’installer ici [...] A mon avis, ça va à l’encontre de tout ce qui est bon pour ce pays, un pays qui s'est construit avec des vagues successives d’immigrants [...] Je suis tellement reconnaissant à l'égard de ces hommes ont donné que j’ai signé la pétition [...] Ce qui est encourageant, c’est que cette pétition n’a pas été seulement signée par d’anciens militaires qui ont travaillé directement avec les interprètes mais par des centaines de milliers de citoyens britanniques qui étaient juste choqués par l’idée que ces hommes courageux ne soient pas autorisés à s'installer ici.



Sources : Mohammad Rafi Hottak © Mohammad Rafi Hottak

Un reportage de Thibault Lefèvre avec la collaboration de Nicolas Ropert

Prise de son : Patrice Klun et Julien Bourdais

Conception web : Mariel Bluteau

Production : Pascal Dervieux, Alain Le Gouguec, Lionel Thompson    

“Traduire, c’est trahir ?” est un reportage radio et web produit pour le magazine de la rédaction de France Inter, Interception. Le reportage a été tourné en Afghanistan, en Angleterre et en France en février 2014.

Un reportage de Thibault Lefèvre
avec la collaboration 
de Nicolas Ropert
Menacés de morts par les taliban, 71 anciens interprètes sont arrivés en France entre décembre 2012 et août 2013. Ils sont des centaines à avoir travaillé avec l’armée française, des milliers avec les troupes de la force internationale alors que le mandat de l’OTAN en Afghanistan prend fin le 31 décembre 2014.
 
La Nouvelle-Zélande a accueilli l’intégralité de ses anciens interprètes, les États-Unis et le Canada ont fixé des quotas, la Grande-Bretagne et la France ont mis en place des critères de sélection. Alors que l’Afghanistan entame sa première “transition démocratique” - le premier tour des élections présidentielles pour désigner le successeur d’Hamid Karzaï est organisé le 5 avril 2014 - des centaines d’anciens interprètes des armées de l’OTAN ne peuvent plus continuer à vivre dans leur pays.  

Un reportage de franceinter.fr

« Il y avait une mine cachée sur la route, il y a eu une explosion, j’ai été grièvement blessé »

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