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Un reportage de franceinter.fr

Menacés de morts par les taliban, 71 anciens interprètes sont arrivés en France entre décembre 2012 et août 2013. Ils sont des centaines à avoir travaillé avec l’armée française, des milliers avec les troupes de la force internationale alors que le mandat de l’OTAN en Afghanistan prend fin le 31 décembre 2014.

La Nouvelle-Zélande a accueilli l’intégralité de ses anciens interprètes, les États-Unis et le Canada ont fixé des quotas, la Grande-Bretagne et la France ont mis en place des critères de sélection. Alors que l’Afghanistan entame sa première “transition démocratique” - le premier tour des élections présidentielles pour désigner le successeur d’Hamid Karzaï est organisé le 5 avril 2014 - des centaines d’anciens interprètes des armées de l’OTAN ne peuvent plus continuer à vivre dans leur pays.  
“Traduire, c’est trahir ?” est un reportage radio et web produit pour le magazine de la rédaction de France Inter, Interception. Le reportage a été tourné en Afghanistan, en Angleterre et en France en février 2014.

Un reportage de Thibault Lefèvre
avec la collaboration 
de Nicolas Ropert

Un reportage de Thibault Lefèvre avec la collaboration de Nicolas Ropert

Prise de son : Patrice Klun et Julien Bourdais

Conception web : Mariel Bluteau

Production : Pascal Dervieux, Alain Le Gouguec, Lionel Thompson    

Il y a plusieurs semaines, la mère d’Amin balaie le sol de la maison familiale de Nijrab dans la région de Kapisa quand une lettre tombe dans la cour : “Tu es un espion [...] nous allons te tuer”. La lettre est signée des taliban de l’Emirat islamique d’Afghanistan : “Tu travailles avec les forces françaises [...] Nous t’avons prévenu par téléphone mais tu n’en as rien eu à faire. Tu seras traité comme nous te l’avons déjà dit : nous allons te tuer.”  Amin habite a déménagé à l’ouest de Kaboul. Il change régulièrement de logement.


Cet ancien interprète de l’armée française a travaillé entre 2008 et 2012 dans sa région d’origine, au nord-est de Kaboul. Pendant des mois, il patrouille avec les forces françaises dans la vallée de Tagab. Amin connaît beaucoup de monde, certains habitants le reconnaissent. Récemment, une quinzaine de policiers locaux qu’Amin a formés ont rejoint les taliban. Le jeune homme les soupçonne d’être à l’origine des menaces.


En décembre 2012, le gouvernement français met en place un dispositif destiné à accueillir les anciens interprètes de son armée menacés par les taliban. Amin rédige un dossier, joint des photos - sur l’une d’entre elles prise le 25 mai 2012, il pose avec François Hollande - puis envoie tous les documents à l’ambassade de France à Kaboul. Plusieurs mois passent, aucune nouvelle …


Il y a un mois, Amin se rend à l’ambassade pour joindre à son dossier la lettre de menace. L’ancien interprète apprend que le dispositif est fermé et qu’il n’a pas été retenu. Il récupère son passeport et envisage de quitter l’Afghanistan illégalement.


Deux semaines après l’entretien, Amin appelle d’Herat à l’est du pays. Il s’apprête à fuir son pays pour l'Allemagne. 

Sources : Le Monde / Rapport d’information de l’Assemblée nationale du 26 février 2012 sur le retrait d’Afghanistan / Ambassade de France - Matignon

Depuis mai 2013, Jean-Michel Marlaud est l’ambassadeur de France en Afghanistan. Avec l'Etat-major de l’armée française, il est responsable de la sélection des dossiers des anciens interprètes afghans.


Pourquoi avoir mis en place un dispositif d’accueil  spécifique aux interprètes ?


L’idée c’est qu'à partir du moment où nous retirons nos troupes combattantes, nous ne pouvons pas laisser derrière nous des personnes qui auraient travaillées pour nous et qui seraient de ce fait aujourd’hui menacées.


Quels sont les critères de sélection ?


Le premier critère, c’est le critère de la menace : est-ce qu' un interprète, un traducteur qui nous dit qu’il souhaite bénéficier de ce programme reçoit des menaces.


Quels types de menace ? 


Le deuxième critère, ce sont les services qu’il a rendus. Le troisième, c'est la capacité d’intégration en France [...] Ce que je peux vous dire c’est qu'on a accepté un tiers des demandes.


Comment être sûr de ne pas s’être trompé ?


Jusqu’à maintenant je ne pense pas que l’on ait commis beaucoup d’erreurs [...] Quand on a eu des hésitations, on a tranché plutôt dans le sens de prendre quelqu’un même si on avait quelques doutes plutôt que de refuser un cas si on estimait qu’il y avait un risque.


Et le cas d’Amin ?


Qu’on ait oublié un cas, non ! S’il n’a pas eu de réponse positive, c’est que la menace a été considérée comme pas convaincante.

Amin a rencontré François Hollande le 25 mai 2012

Aminullah a reçu une lettre de menace signée de l’Emirat islamique d’Afghanistan, le nom que les taliban ont donné à l'État afghan quand ils ont pris le pouvoir en 1996.

 

« Vous avez travaillé avec les forces françaises et les étrangers, vous êtes un espion. Nous vous avons appelé pour vous prévenir mais vous n'en avez pas tenu compte. On vous trouvera, vous et votre famille, si Dieu le veut. Nous allons te tuer. » 

© Nicolas Ropert

« Quand les taliban veulent trouver quelqu’un, ils le trouvent »

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© Nicolas Ropert